Pour le peuple, "du pain et des jeux": Notre liberté est une fiction, notre travail un poison aliénant
Comme l'avaient compris les élites de la Rome antique en leur temps pour être tranquille, ils appliquaient rigoureusement déjà une formule magique pour que le peuple se désintéresse de ce qui est important, et du politique en général: Pour le peuple, "du pain et des jeux". Aujourd’hui, ceci fut revisité par les américains experts en la matière, et étendu au monde entier, par le terme "tititainment", néologisme créé par Brezinski, ancien conseillé du Président Carter (= sorte de titillements médiatiques infantilisant abreuvant les masses afin qu'elles se tiennent tranquille).
Plus parlante, je préfère reproduire ici dans son intégralité une scène édifiante, rapportée par le journaliste allemand Hans-Peter Martin en introduction de son ouvrage « le Piège de la mondialisation » (Solin/Actes Sud).
" Septembre 1995, San Francisco. Au somptueux hôtel Fairmont, se tient un « brain trust global » sous l’égide de la Fondation Gorbatchev. Le dernier président de l’URSS et Prix Nobel de la paix a réuni un aréopage de cinq cent leaders politiques, économiques et scientifiques de premier plan afin d’ouvrir la voie au XXIe siècle « en marche, selon ses mots, vers une nouvelle civilisation ». La rhétorique y est bannie : aucune intervention lors des débats ne doit durer plus de deux minutes. Histoire de se chauffer, l’assemblée unanime constate que, dans cette « nouvelle civilisation », seuls 20 % de la population active suffiraient à maintenir l’activité de l’économie mondiale. Que faire alors des 80 % restants ? Zbigniew Brezinski, ancien conseiller de Carter et fondateur d’un puissant think thank américain (la Trilatérale) a la solution : le « titytainment ». Soit la contraction de « tit » – le sein maternel auquel le nourrisson s’allaite – et « entertainment ». Selon lui, « un cocktail de divertissement abrutissant et d’alimentation suffisante permettrait de maintenir de bonne humeur la population frustrée de la planète. »
Guy Debord aurait adoré. Nul doute que sa Société du spectacle a pris, au cours des années 90, un envol sidérant. Télé, radio et presse ne nous apparaissent plus vraiment comme un contre-pouvoir. Au contraire : les médias modernes s’imposent comme les principaux collaborateurs du « titytainment » nouveau, escamotant la réalité vécue au profit d’une fiction lénifiante. "
Avec l'appuie de la télévision, de l'information en continu sans réflexion, hiérarchie, décryptage, sans jamais traiter des causes profondes aux conséquences, et avec ses divertissements, téléréalités, peoples, prônant l'abrutissement par la débauche, le sexe, la violence,.. le peuple est infantilisé, divisé et éloigné soigneusement des vrais enjeux, économiques, sociaux, politiques, et écologiques, afin qu'il ne soit pas amené à trop penser et en demander. Il se battra individuellement pour ses petits avantages matériels, son petit confort personnel, fait principalement de matériels chinois fabriqué par des enfants esclaves ouvriers sous payés. L'exploitation des pauvres pour d'autres pauvres. Au lieu de se rassembler, s'entraider, pour que toute la pauvreté cesse. On lui donne tout juste de quoi manger et se divertir, on l'épuise par le travail pour qu'il n'ait pas le temps ni l'énergie de penser, le divise idéologiquement sur des débats secondaires, et c'est l'aliénation profonde et durable qui est orchestrée.. Il n'aura pas le temps, ni l'énergie de débattre, se rassembler collectivement, s'organiser pour son émancipation, sera plus préoccupé par se nourrir soit-même que de donner à manger à tout le monde, blâmera par exemple l'étranger présenté dans les médias comme une menace plutôt que les actionnaires et ceux qui ne rémunèrent pas justement son travail.. C'est étrange car les gens au niveau mondial de la classe moyenne, petits cadres, artisans, salariés, et celle ouvrière, comme le soulignait très bien Marx, ont plus de points communs malgré leurs différences qu'avec la classe dominante, le grand patronat, qui lui d'ailleurs a bien compris la nécessité de se regrouper pour la défense de ses intérêts (les multinationales interdépendantes se retrouvent au delà de leur guerre économique dans des think-tanks, lobbys qui agissent directement sur la classe politique aux affaires étatiques, européennes, et internationales, qui est de toute manière issue plus que majoritairement de la classe dominante, afin de faire valoir leurs intérets.)
Et c'est une plongée la tête la première dans l'égoïsme individualiste, que produit la société ultra-libérale capitaliste: c'est son pilier de survie d'ailleurs. Sans ces individus qui naissent, qui sont formatés pour devenir ultra-égoïste afin de travailler docilement au service de puissants et de leur croissance dont ils ne bénéficieront jamais des fruits, la classe dominante rentière et improductive ne serait rien.
Et bien souvent ces milliards de malheureux qui auraient pu œuvrer, construire ensemble, en se regroupant collectivement (la force du nombre) pour une vie meilleure, pour créer autre chose, un monde plus juste, meurent avant de bénéficier de la promesse d'une retraite et de ces 5, 10, 15 ans de vie réelle, libre. Ceux qui survivent sont pour la plupart malades, ou ont déjà perdu l'être aimé et ne peuvent pas jouir physiquement et intellectuellement au mieux de celle-ci. C'est un leurre entretenu depuis deux millénaires, le plus gros scandale de l'humanité. Naissance, formatage, exploitation, mort, tout comme le bétail qu'on envoie à la chaîne à l’abattoir, alors que pourtant cette viande n'est pas indispensable pour nous. De la même façon, et je le crois de tout mon être, nous ne sommes pas fait pour ce type de vie que ces gens nous imposent, ça n'a rien d'indispensable. D'autres parlent d'esclavage consenti, d'asservissement de masse. Et ils ont malheureusement raison.
Le temps passe, mais l'esprit de l'adage de la Rome antique reste conservé à la lettre. L'élite domine et jouit librement de sa liberté, le peuple survit. Et comme le démontre Bourdieu dans sa théorie de la reproduction des élites, ce système se perpétue. L'égalité des hommes de la déclaration des droits de l'homme ainsi que l'égalité des chances ne sont pas, et ne seront jamais effectifs sans un changement radical, une révolution, qui doit commencer par l'éducation différente où on apprendrait à penser par soi-même, à critiquer l'injustice. C'est le seul moyen pour qu'ils prennent conscience de tout ceci très tôt, au plus tard à l'adolescence, afin qu'ils aient les armes intellectuelles pour imaginer et poursuivre leurs rêves d'enfants, qui sont brisés par l'éducation moderne scolaire, qui vise uniquement au conservatisme et à la reproduction du système global en place.
En effet, l'élite a déjà gagnée cette guerre contre les masses silencieuses depuis longtemps, et son système est méthodique et rodé. Ils ont l'argent, les moyens de production, l'Etat est de leur coté, car les représentants des peuples représentent en réalité l'élite, et pas le peuple dans son ensemble (aucun ouvrier en France ne siège à l'Assemblée Nationale par exemple). Et vu qu'il détient le "monopole de la violence légitime" (le bâton, l'épée, le fouet, ou le fusil mitrailleur, les temps changent, l'esprit reste) comme l'explique Weber, le rapport de force est complètement disproportionné en faveur de l'élite, l'émancipation du peuple et sa progression sociale n'est jamais plus que marginale et jamais globale, ce n'est pas un but en soi de nos sociétés verrouillées.
La seule richesse, valeur de réussite qui est mise en avant partout est celle d'un pouvoir de consommation illimité, égoïste. Pourtant elle permet aussi d'éloigner les individus du seul pouvoir qui compte, vertueux et altruiste, celui de changer la société pour qu'elle soit plus juste.
Les différents moyens de contrôle sont en plus dans leurs mains, l'information, la surveillance, l'exécutif et sa police, la justice, la création des lois.. Les études montrent que celui qui se fait élire Président, en occident et ailleurs, est celui qui a mis le plus d'argent dans sa campagne. La corrélation est flagrante, incontestable. On comprend mieux pourquoi Sarkozi, comme Chirac, comme tous les autres, ont usés de caisses noires, du dépassement du montant autorisé pour les comptes de campagnes, de soutiens douteux (Lybiens pour Sarkozi). Ce n'est pas par hyperconsomation de campagne, mais car ils sont complètement conscient de cet avantage. C'est pourquoi un pauvre, et même quelqu'un de la classe moyenne, n'accédera jamais à ces responsabilités. C'est l'ironie d'un système présenté comme démocratique, qui en a l'apparence dans ses textes, qui donne aux citoyens un leurre de liberté, mais qui donne les mêmes résultats que les systèmes autoritaires en terme de contrôle, comme le montre régulièrement Snowden avec ses révélations sur les magouilles américaines. La thèse de l'Etat profond se tient globalement il me semble, sauf qu'il n'agit même plus masqué, tout le monde sait. Personne ne bouge.
La force en face semble-t-elle trop puissante? Pourtant nous sommes 6 milliards il me semble. Serions-nous des hommes élevés en batterie, gavés à la télé-réalité, un simple outil pour ce système, de simples consommateurs infantilisés? Ou sommes-nous capables de prendre notre destin en main?
A bon entendeur!